Macron veut
non seulement réformer mais aussi changer la façon dont la France pense « John
Lichfield » :
Tout autre président pourrait choisir de laisser le système de
retraite kafkaïen tranquille avant les élections de 2022
La réforme des retraites en France ressemble aux jeux de
proto-football bruyants pratiqués par des villes entières en Angleterre et en
Ecosse dans le passé. A intervalles réguliers - les plus récents en 1993, 1995,
1999, 2003, 2007, 2010 - le gouvernement français est en compétition avec une
grande partie de la population du pays. Après des jours ou des semaines de
conflit confus, les deux équipes se retirent, épuisées. De petites concessions
de terrain sont faites. Aucun but précis n'est marqué par l'une ou l'autre des
deux parties.
La seule exception est l'année 1995 où le match France - Jacques
Chirac et Alain Juppé se prolonge en prolongation (trois semaines de grèves des
transports) avant que le gouvernement ne cède plus ou moins complètement. Un
but rare et incontesté pour "le peuple".
Les autres batailles récentes sur les pensions, de 1993 à 2010, se
sont soldées par des tirages au sort, les réformes radicales ayant été retirées
ou évitées au profit d'emplois rafistolés afin de maintenir le système de
pensions d'État tentaculaire et kafkaïen du pays pendant quelques années
encore.
Entre en scène, au centre, un jeune homme ambitieux, plus
visionnaire que politicien, qui décide qu'il peut réussir là où ses faibles
prédécesseurs ont échoué.
Il n'y a pas de raison particulièrement pressante de réformer le
système - ou les 42 systèmes différents - à l'heure actuelle. L'enchevêtrement
des régimes, soi-disant financé par des prélèvements sur les travailleurs et
les employeurs, ne perd pas trop d'argent. Les 8 milliards d'euros de subventions
annuelles du contribuable sont plus ou moins abordables (même les 3 milliards
d'euros qui continuent à permettre aux cheminots de prendre leur retraite dans
la fleur de l'âge).
Mais Emmanuel Macron ne veut pas seulement réformer la
France. Il veut changer définitivement la façon de penser de la France. Ses
autres réformes sociales, notamment l'assouplissement du droit du travail, ont
été un succès. Le pays crée des emplois de main de maître. Il a, plus ou moins,
combattu le mouvement des gilets jaunes sans faire grand-chose pour les petites
villes et les banlieues en difficulté où il a commencé.
Un homme politique sensé et pratique pourrait décider qu'il
devrait dériver prudemment vers l'élection présidentielle de 2022, en se
penchant sur les moulins à vent cassés de l'Europe et de l'OTAN, mais en
laissant la politique intérieure tranquille.
Pas Macron. Il a déclaré la guerre sainte au système des
pensions dans sa campagne électorale en 2022. L'enchevêtrement de droits
contradictoires (dans lequel les pauvres subventionnent parfois les nantis) est
une offense à son sens abstrait de l'ordre et de la justice.
Il désapprouve également le fait que la France, dans l'ensemble,
travaille moins d'heures que tout autre pays de l'OCDE. La retraite anticipée
est une des principales raisons. L'âge officiel de la retraite est de 62 ans,
mais les travailleurs des chemins de fer, de l'électricité et certains autres
travailleurs prennent leur retraite avec des pensions généreuses au début ou au
milieu de la cinquantaine.
En tout cas, la réforme des retraites est devenue le grand symbole
d'une France supposée immuable. C'est, selon Macron, un dragon qu'il faut tuer
si le pays veut se préparer aux possibilités et aux cruelles épreuves du XXIe
siècle.
Le gouvernement de Macron a présenté les grandes lignes de
son régime de retraite en juillet. Il y aurait un seul régime au lieu de 42.
Chaque employé accumulerait un fonds personnel de " points de retraite
", qui pourrait être transféré d'un emploi à l'autre et qui serait basé sur
une moyenne des gains. Personne ne recevrait moins de 1 000 euros par mois. Le
nouveau système prendrait pleinement effet en 2025.
Le résultat est une cacophonie. Tout le monde était en colère. Les
cheminots et les autres allaient perdre leurs contrats d'amour. Les
enseignants, les infirmières, les médecins, les avocats, la police, les
fonctionnaires et d'autres encore allaient perdre les accords en vertu desquels
les pensions sont calculées sur la base du salaire de fin de carrière et non
sur une moyenne de carrière.
Pendant des mois, les efforts du gouvernement pour vendre les
propositions ont été étrangement tièdes et incohérents. Les syndicats modérés,
qui acceptent le principe de la réforme, sont devenus furieux et confus. Les
syndicats militants sentaient le sang - et une voie de retour à l'influence et
au pouvoir. Les gilets jaunes, dans leur forme anti-politique originale,
avaient rejeté le mouvement syndical français, très divisé, comme étant inutile
et corrompu.
Les syndicats militants et les politiciens de gauche et de droite
dure ont bombardé les réformes proposées d'attaques allant du raisonnable au
fictif : Macron voulait que les gens travaillent plus longtemps (vrai) et
voulait réduire la pension de tout le monde, y compris de ceux qui étaient déjà
à la retraite (faux).
Et ainsi, avec les grèves des transports qui ont commencé jeudi
dernier, un nouveau tour de proto-football sur les retraites a commencé,
"le gouvernement contre une grande partie du peuple". Est-ce que
quelqu'un va gagner cette fois-ci ? Macron et son gouvernement cherchent déjà
des moyens de déclarer un match nul dans les négociations avec les syndicats
demain. Le premier ministre, Édouard Philippe, offrira de retarder le début de
facto du nouveau système à 2035 ou peut-être même à 2039. Ce serait à trois ou
quatre élections présidentielles d'ici là.
Quel serait l'intérêt d'une réforme aussi lente ? Une faible
victoire symbolique pour Macron. À quoi bon que les syndicats refusent
une telle réforme au ralenti ? À vaincre Macron et à être vu en train de le
vaincre. L'hiver risque d'être long et dur en France.
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